FN : depuis le temps que ça gonfle

FN : depuis le temps que ça gonfle

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«On ne va pas vendre nos âmes pour des Safrane !» Jeudi 19 mars 1998, Philippe Séguin doit hausser le ton. Dans une salle de la Maison de la chimie, à Paris, le président du Rassemblement pour la République (RPR) fait face à des troupes grondeuses. Quatre jours plus tôt, les élections régionales ont vu le FN réaliser une performance inédite : autour de 15 % des voix au niveau national, et un total de 275 élus. Dans douze régions, leurs voix sont nécessaires à la droite pour former une majorité. Et une partie du RPR est désormais prête à briser le «cordon sanitaire» en s’alliant avec l’extrême droite. Séguin et ses amis l’emporteront difficilement sur les partisans d’un tel rapprochement. Mais si la digue a tenu au RPR, elle explose du côté de l’Union pour la démocratie française (UDF) : en Rhône-Alpes, Bourgogne, Picardie, Languedoc-Roussillon et dans le Centre, cinq centristes sont élus présidents avec le soutien du parti de Jean-Marie Le Pen. Dix-sept ans plus tard, c’est désormais le FN qui aspire à la présidence de plusieurs régions. Sans alliance et en dépit d’un mode de scrutin réformé après 1998, précisément pour lui barrer l’accès aux perchoirs régionaux.

Dimanche, le parti lepéniste a vécu une autre de ces «soirées» mémorables qui semblent rythmer son histoire : 1984, 1988, 1995, 1998, 2002… Eternel «coup de tonnerre», nouvelles dissertations sur la«percée» d’un mouvement désormais «aux portes du pouvoir». En fait de «percée», l’avancée frontiste relève plutôt, depuis trente ans, d’un grignotage obstiné – et parfois contrarié. Mais voilà quelques années que le FN trouve de moins en moins d’obstacles sur son chemin. Alors que le parti ne cesse d’améliorer ses résultats dans les urnes, ses idées semblent infuser comme jamais dans la société. «On a gagné la bataille des idées, celles qui font bouger les masses, jugeait récemment Marion Maréchal-Le Pen. Il nous reste à gagner celles des partis.»

«Dédiabolisation» après 2002

Dans cette bataille des partis, la trajectoire frontiste n’a rien à voir avec une ascension continue. Tout près de faire exploser la droite en 1998, le mouvement s’est pourtant effondré l’année suivante. La scission mégrétiste de 1999 est un calvaire pour le parti, qui y laisse la moitié de ses troupes. En 2002, certes, l’accession de Jean-Marie Le Pen au second tour de la présidentielle donnera le change. Mais au FN, cette performance laisse moins de traces que l’échec qui s’ensuit : le 5 mai, plus de 82 % des électeurs votent contre le candidat frontiste. Saigné de ses forces vives, dirigé par un chef vieillissant, le FN n’a paradoxalement plus grand-chose d’une force d’avenir.

Consternés par le revers de 2002, quelques jeunes loups décident sans plus attendre d’ouvrir la boîte à idées. Leur figure de ralliement est une Marine Le Pen alors trentenaire, portée par de bonnes prestations télévisées et soutenue par son père. Pour ces rénovateurs, qui s’opposent durement à une tendance «conservatrice», le mot d’ordre devient «dédiabolisation». Un hommage inattendu à la stratégie mégrétiste, que le vieux chef tolère dans la mesure où il ne remet pas son leadership en cause.

Les affaires du Front national ne s’arrangent pourtant pas, au point que les années 2000 apparaissent aujourd’hui comme une décennie pourrie pour le mouvement lepéniste. En 2007, les désastreux résultats électoraux mènent le parti au bord du gouffre. Pour son dernier match présidentiel, Jean-Marie Le Pen semble jouer à front renversé avec le candidat UMP, Nicolas Sarkozy : tandis que le premier se déplace sur la dalle d’Argenteuil et tente de séduire les jeunes banlieusards, le second mène une campagne droitière sur la sécurité et la «valeur travail».Essoré à la présidentielle (Le Pen atteint 10,44 %, le deuxième pire score du FN), laminé aux législatives, lessivé financièrement, le FN n’est pas loin de disparaître. Et doit même vendre, pour survivre, son grand siège de Saint-Cloud (Hauts-de-Seine), symbole de jours meilleurs. A la fin des années 2000, le Front national est un parti de second rang. Pourtant, les ingrédients de sa renaissance mijotent déjà à feu doux.

La concurrence de Sarkozy

«Le succès actuel du FN vient de la rencontre d’une offre réaménagée et d’une demande radicalisée», analyse le politologue Pascal Perrineau. Alors que le FN comme parti se trouve dans les pires difficultés, se structurent dans l’électorat les nouvelles attentes qui le portent aujourd’hui. Crise économique et bouleversements géopolitiques nourrissent une demande croissante d’autorité et de protection qui entre en résonance avec le discours frontiste. Symbole de ces inquiétudes : le rejet par référendum, en 2005, du traité constitutionnel européen, salué par une partie de la gauche au nom de l’antilibéralisme, et par l’extrême droite et une partie de la droite au nom du souverainisme. Par ailleurs, «depuis les attentats des années 90, une partie de l’islamisme radical est devenue un danger objectif pour nos sociétés, rappelle Pascal Perrineau.On n’a jamais assez dit que 2002 suivait de près le 11 septembre 2001. Et dans la dernière séquence, la plupart des terroristes ayant agi sur notre sol étaient des Français issus de l’immigration. Dans nos entretiens récents avec des électeurs, ces phénomènes sont vécus de manière très intime. L’idée s’incruste que l’ennemi vit à côté de nous, qu’il a la même carte d’identité que nous».

A ces questions, le FN a formulé de longue date les réponses les plus radicales. Dans un premier temps, il se voit pourtant concurrencé sur ce terrain par Nicolas Sarkozy. Conseillé par le très radical Patrick Buisson, le chef de l’Etat braconne ouvertement l’électorat FN, lançant un débat sur l’identité nationale, reprenant dans son discours de Grenoble une longue série d’arguments frontistes. De quoi légitimer ces derniers sans empêcher, en 2012, la défaite du président sortant, ni un score historiquement haut du FN à la présidentielle.

De son côté, le parti d’extrême droite a adapté son offre. D’abord en changeant de visage : il présente maintenant celui, jeune et féminin, de Marine Le Pen, flanquée de l’ex-chevènementiste Florian Philippot. Aux manettes de la désastreuse campagne de 2007, la fille du «Menhir» a échappé de justesse à la vendetta de ses opposants internes. Quatre ans plus tard, la télégénique héritière, soutenue par son père, l’a emporté sur Bruno Gollnisch et a pris la tête du parti.

Elle a désormais les mains libres pour appliquer une «dédiabolisation» théorisée dix ans plus tôt. Contrairement à certaines interprétations, la stratégie n’a jamais supposé de toucher aux fondamentaux du parti : pas question d’aligner le Front national sur la droite «classique». Simplement d’évacuer tout soupçon d’antisémitisme à son encontre, en expulsant s’il le faut les militants les plus radicaux ; d’adoucir quelque peu la forme du discours, en évitant ces outrances dont Jean-Marie Le Pen était coutumier ; enfin, d’ouvrir le programme frontiste à de nouvelles thématiques, notamment en renforçant le chapitre «économie».

«Depuis le XIXe siècle, l’extrême droite répond aux bouleversements géopolitiques en proposant de retrouver une société close et organique, c’est-à-dire qui fonctionnerait de manière harmonieuse, à la façon d’un être vivant», explique le chercheur Nicolas Lebourg. Qui précise que, si ce principe de fermeture est une constante, ses modalités, elles, ont fortement évolué avec le temps. Sans cesser de relever de l’extrême droite, le FN n’est plus désormais le parti du «point de détail»,mais se positionne comme celui des frontières. Frontières nationales, en réclamant la fin de l’espace Schengen et en mettant en cause l’appartenance à l’UE ; frontières économiques, en promouvant le protectionnisme ; frontière intérieure entre Français et immigrés, avec la préférence nationale qui réserverait aux premiers le bénéfice des aides sociales ; frontières culturelles, avec un laïcisme hypertrophié et pourtant sélectif, qui interdirait le port du voile dans l’espace public mais qui défend à chaque occasion les racines chrétiennes de la France.

«Quoi qu’on en pense sur le fond, ce protectionnisme global présente une forte cohérence interne, car chaque niveau répond à l’autre, commente Pascal Perrineau. Il a l’avantage d’être facilement lisible par l’électorat.» Et de n’avoir suscité aucune parade efficace de la part des autres partis. Depuis 2012, le FN est redevenu un mouvement de tout premier plan, réalisant 24,9 % au premier tour des européennes de mai 2014 puis 25,2 % aux départementales de mars 2015. Le modèle n’est plus à la mode, mais qu’importe : dix-sept ans après 1998, le FN veut ses Safrane.



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